Samedi 19 octobre 2019, l’ASC a retrouvé Bernard Blanc autour d’un café pour en savoir plus au sujet de l’histoire d’A.M.N.S. et de son partenariat avec l’ASC. Nous avons donc eu l’occasion de lui poser des questions sur l’histoire de l’association ainsi que ses projets et les progrès observés dans le village de Tangaye.
Avant de poursuivre votre lecture, n’hésitez pas à lire cet article sur A.M.N.S. afin de mieux comprendre le contexte de cet interview.
Lors de mon premier voyage au Burkina Faso, on m’a dit « Vous maîtrisez la montre et nous, nous maîtrisons le temps » …

- Bonjour Docteur Blanc, merci de nous avoir accordé la matinée pour cet interview. Nous allons tout d’abord commencer par vous présenter. Avant d’être trésorier et ancien président d’A.M.N.S. vous êtes tout d’abord médecin dans le village de Velaux. Avez-vous toujours voulu faire ce métier dans l’optique de pouvoir faire de l’humanitaire, ou cette envie est-t-elle arrivée plus tard ?
J’ai toujours fait du social en tant que médecin lorsque j’étais au Jas de Bouffan, mais c’est vrai que l’humanitaire m’est venu dans un deuxième temps. Je me suis d’abord orienté vers les grandes ONGs, Médecins du Monde entre autres, mais ce n’était pas ce que je voulais faire. Je me suis donc orienté vers un « microprojet », pour être plus dans l’action, ici accompagner les habitants d’un village.
- Comment êtes-vous donc arrivé à l’idée de vous engager à Tangaye au Burkina Faso ?
J’ai téléphoné à la maternité de Pertuis où j’ai pu faire un stage auparavant, et celle-ci faisait un jumelage avec une maternité au Tchad. On m’a parlé du Dr Chuzel, un gynécologue qui opère souvent au Burkina Faso dans un cadre humanitaire. Il m’a mis en contact avec Azetto Ouedraogo (actuellement présidente de Song Taaba, association partenaire à Tangaye), que j’ai pu rencontrer par la suite. En 2010, une infirmière, mon épouse médecin et moi-même nous sommes aussitôt lancés dans ce projet. Nous sommes partis 10 jours, durant lesquels nous avons consulté, puis y sommes retournés un an plus tard. On a compris que les consultations, bien que nécessaires, n’étaient que ponctuelles et qu’il faillait développer des actions plus concrètes sur le long terme. C’est à partir de là que nous avons créé A.M.N.S..
- Pourriez-vous rappeler ce qu’est Song Taaba ?
Il s’agit de l’association qui coordonne toutes nos activités à Tangaye et sert de relais entre les autorités du village et l’A.M.N.S.. Son bureau est composé d’habitants du village : Azeto Savadogo, la présidente (aussi sage-femme et très respectée par toute la communauté), Moussa Ouedraogo, le vice-président, et Dieudonné Ouedraogo, le trésorier. Song Taaba est notre bras droit et fait la réussite d’AMNS.
Dieudonné Ouedraogo Moussa Ouedraogo Azetto Savadogo
- Quelles ont été les premières actions menées sur place ?
Il faut savoir que le système de santé est en réalité relativement bien organisé au Burkina Faso. Il existe de nombreux centres de santé composés d’une infirmerie, d’une pharmacie ainsi que d’une maternité. Seulement, l’État est pauvre et parmi les problèmes majeurs auxquels nous faisons face, on note l’absence de médicaments et de médecins sur place. A.M.N.S. a de ce fait commencé par des actions de nature assez ponctuelle. Parmi celles-ci, l’amélioration de l’équipement de la maternité (autrefois dépourvue d’électricité) pour laquelle nous avons par exemple installé un système électrique et que nous avons entièrement repeint, ainsi que l’achat d’une ambulance. Nous avons également équipé un puits avec une pompe solaire afin d’amener l’eau courante à l’infirmerie et avons mis en place tout un système de canalisation. Tout cela sans compter l’installation d’un jardin, la construction de classes d’école et d’une maison de la culture, qui s’avère très importante pour la communauté (pour les mariages, les réunions, les fêtes, etc.).
- A.M.N.S. a-t-elle aussi mis en place des projets de parrainage ?
Oui, effectivement, nous avons mis en place un parrainage qu’on pourrait caractériser d’atypique. Il ne s’agit pas d’enfants comme on le voit traditionnellement dans les associations mais de femmes en difficulté choisies par les responsables du village. Alors imaginez le contexte de ces femmes : souvent leurs maris sont partis orpailler, certains ne sont jamais revenus, et elles se retrouvent seules à assurer les enfants et les travaux agricoles afin d’avoir de quoi survivre. L’idée de ce parrainage est donc qu’à travers ces femmes, on puisse aussi aider les autres. On les aide en leur apportant des poules, des charrettes pour transporter l’eau, en assurant la scolarisation de leurs enfants, en offrant des sacs de céréales aux écoles, etc. Finalement, on observe que ces femmes ont relevé la tête, elles agissent pour la collectivité et c’est pour cela que le parrainage continue encore aujourd’hui.
Cela nous a menés vers un second projet : celui de créer une économie secondaire à travers des parrainages d’apprentis. Tangaye est une région d’agriculteurs et d’éleveurs. Dès lors qu’une période de sécheresse surgit, tout s’arrête et beaucoup d’hommes partent orpailler. C’est pourquoi nous avons construit des bâtiments dédiés à l’artisanat. Notre objectif était d’apprendre à des jeunes villageois des métiers secondaires comme la couture, la soudure, la réparation de véhicules, la coiffure etc. pour pallier les périodes de sécheresse. C’est d’ailleurs comme ça qu’un parrainage est par exemple né entre une coiffeuse de Velaux et des coiffeuses de Tangaye. Finalement ce bâtiment de l’artisanat a donné vie à une économie parallèle, il est devenu le lieu de vie du village.
- Quels ont été les impacts observés de ces projets dans la communauté de Tangaye ?
L’impact le plus évident c’est l’impact humain, le ressenti des gens. Cependant, on peut noter un progrès significatif : dans tout le nord Burkina, l’école publique de Tangaye a été l’école avec le moins d’absentéisme (80 élèves par classe). Cela s’explique entre autres par le fait que la cantine fonctionne et que les enfants peuvent avoir un repas. En effet, qui dit école, dit accès à la culture, et lutte contre l’obscurantisme.
- Pourquoi l’A.M.N.S. a-t-elle choisi de s’associer à ASC ?
Marie-Françoise Mercadier (responsable du master LEA à la faculté de lettres d’Aix en Provence), m’a demandé de présenter l’association auprès de ses étudiants. Très vite, un partenariat s’est mis en place car il était mutuellement bénéfique. Les étudiants en management de projets humanitaires pouvaient mettre en pratique les connaissances enseignées dans le cadre de leurs études et A.M.N.S. y a gagné en dynamisme et forcément en soutien. Avec les années, le partenariat a largement gagné en pertinence jusqu’au point où l’ASC a lancé elle-même des projets à Tangaye. Ce que je retiens cependant, c’est le dynamisme, la création de liens forts et la notoriété croissante des projets à Tangaye auprès des habitants autour de Velaux.
- L’ASC apporte de nouveau son soutien cette année, pour finir le projet d’agroforesterie dans le but d’atteindre l’autosuffisance alimentaire ainsi que l’autonomisation des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?
Travailler la terre à Tangaye n’est pas chose facile car la culture est particulière. La terre n’est pas riche dans cette région du Burkina Faso. Un jardin potager a été mis en place il y a quelques années mais ça n’a duré que 2 ans et ça a été un d’échec. Beaucoup d’associations ont cherché comment mener ce genre de projets mais c’est très compliqué, c’est une affaire de spécialiste et surtout nécessite un partage d’expérience. C’est pourquoi, Marie-Françoise a voulu relancer le projet avec une approche différente : pratiquer les techniques ancestrales mais de manière plus efficace. Elle a voulu se baser sur la connaissance exclusive des locaux, qui connaissent très bien les terres et sont parmi les meilleurs agriculteurs d’Afrique. Je pense que c’est un projet ambitieux mais je reste optimiste quant à la réussite de ce dernier.
- Pensez-vous que les impacts des projets à Tangaye se répandent à une plus grande échelle ?
Certes, nous nous centrons sur Tangaye et pas forcément sur les autres villages. Cependant, on aperçoit un rayonnement et ça pour de multiples raisons. Selon la tradition, les femmes du village se marient avec des hommes d’autres villages. De ce fait, aider les femmes de Tangaye, c’est aussi aider les villages voisins.
La mise en place de projets prend de l’ampleur qu’on a également pu constater avec le centre de santé. S’il aidait environ 3000 personnes auparavant, il accueille aujourd’hui autour de 5000 personnes grâce à notre intervention. Il reste certes du travail, tout est loin d’avoir été amélioré, mais c’est prometteur et nous avons eu beaucoup de bons retours de la part des habitants de Tangaye.
- Un mot de fin pour clôturer cet interview ?
S’il faut retenir une chose, c’est que Tangaye a vraiment changé. Les choses avancent, alors oui, tout est relatif mais s’il existait quelques milliers de Tangaye dans le pays, l’impact serait énorme. Ce qui fait la richesse de ce village c’est aussi le partage, la solidarité. On a tant à apprendre de ces personnes. Il faut savoir aussi que toutes les religions se côtoient là-bas. Au sein même de Song Taaba on trouve des musulmans, des catholiques et des protestants. C’est une réelle leçon de vie.